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Dominique A est certainement l’un de nos chanteur français les plus littéraires. Ses textes, d’une incontestable poésie, nous entraînent très loin, dans des nuages imbibés de l’eau de la réflexion et de la rosée de l’émotion.

Celui qui cite volontiers Bashung, Sapho et le groupe Opposition, mais aussi Patrick Modiano, Georges Simenon et Alain-Fournier, distille une musique inventive tissée de rock pur, d’une pop mélodieuse et d’un son novateur, audacieux. Bref, Dominique A est un artiste authentique, indépendant, libre. Singulier. Il donnera un concert le vendredi 17 octobre, au Théâtre Louis-Aragon, à 20h30. Il a accepté de répondre à nos questions.

« On sera en trio »

Vous allez donner un concert à Tremblay-en-France. Avec quelle formule ? Et quel sera le répertoire ? 

Dominique A : On sera en trio, contrebasse, claviers et guitares, le même set up que sur le volet acoustique du disque rétrospectif sorti l'an dernier. On balaie un peu toute la discographie, avec pour fil conducteur tenter de maintenir une intensité même dans les passages les plus calmes. 

Cette date s’inscrit dans le cadre d’une tournée. Où celle-ci vous a-t-elle mené et où vous mènera-t-elle, et jusqu’à quand ? 

C'est très circonscrit à l'Hexagone, avec quelques incursions en Wallonie et Suisse Romande. Au fil du temps, le périmètre se restreint, et je le déplore. En même temps, il y a déjà tant d'endroits où jouer en France... Je n'en aurai jamais fini de "couvrir" le territoire ; c'est sans fin. Ceci étant, cette tournée en aura bien une, de fin, le 14 décembre à domicile (Nantes). Au total, on aura fait une cinquantaine de dates en trio, ce qui est plutôt pas mal par les temps qui courent.

Connaissez-vous la ville de Tremblay ? Et si oui, qu’en pensez-vous ? 

C'est terrible, car je suis sûr d'y avoir déjà joué, mais je ne me souviens de rien. Ce n'est pas un traitement de défaveur envers Tremblay ; c'est juste qu'un concert chassant l'autre, c'est reset en permanence dans ma tête. 

On sait peu de choses sur votre premier groupe, John Merrick. Où était-il basé ? Quel style de musique ? 

Dominique A : C'était de la mauvaise new wave nantaise calquée sur la new wave rennaise de l'époque. Mais à réécouter les bandes, on ne jouait pas si mal ; on bossait dur et les quelques dizaines de concerts devant des Bretons bourrés ont été très formateurs. Je chantais par contre de façon atroce, avec un vibrato oscillant entre Julien Clerc et Michel Jonasz. 

Parmi vos nombreux albums, quel est celui qui, selon vous, vous correspond le mieux ? Et pourquoi ?

C'est compliqué. J'ai longtemps dit que le premier, La fossette, aurait suffi. Mais en même temps, musicalement, ce n'est pas le plus convaincant, et de toutes façons j'avais envie de continuer. Les gens qui me suivent aiment bien Eleor (2015), alors va pour Eleor. Il a une forme d'évidence vers laquelle je tends ces temps-ci. 

Vous avez collaboré avec de nombreux artistes (Jane Birkin, Etienne Daho, Kent, Philippe Katerine, etc.). Quel est celui qui vous a le plus marqué. Et pourquoi ? 

Il y en a trois. Bashung, parce que c'était le Commandeur, et qu'il avait une vision des choses très spécifique, qu'il délivrait de façon très simple, très lacunaire et intrigante. C'était un instinctif, pas du tout intello dans sa façon de faire, et j'aime cet alliage entre une production au final assez sophistiquée et une approche en même temps assez terre à terre ; ça me parle.  

Le deuxième, ce serait Mark Long, chanteur de The Opposition, un groupe que j'adorais adolescent, et avec lequel j'ai eu la chance de faire un concert, de façon assez improbable, à Nantes en 2019. Je jouais de la guitare sur des morceaux que j'avais écoutés gamin, et Mark était un homme très doux, très chaleureux. Il était question qu'on donne suite à cette expérience ; il m'a invité chez lui à Londres pour qu'on fasse des chansons ensemble, mais il est hélas parti avant. 

Enfin, il y a Sapho, dont j'étais fan adolescent, et avec qui j'ai chanté sur scène, et enregistré un titre encore non diffusé. C'est une personnalité tellement originale, elle aussi très chaleureuse. Je pense qu'elle n'a pas été reconnue à sa juste valeur, et qu'elle a souffert d'un machisme d'époque dans les années 80. 

Simenon, Modiano, Nick Drake 

Quand on vous demande quel artiste vous a le plus inspiré, vous citez souvent Alain Bashung. Pourquoi ? Et y en a-t-il d’autres ? 

Bashung, oui, mais il y en a bien d'autres. Des "incontournables", Joy Division, Nick Drake, Murat et Manset par exemple, mais aussi toute une pléthore de petits maîtres, pas moins chers à mes yeux, comme Spain, le groupe de Josh Haden, la chanteuse folk britannique Bridget Saint John, les anglais de Blue Nile ou encore Catherine Ribeiro, parmi tant d'autres. Suicide, Anouar Brahem, Tord Gustavsen, Gun Club, Bessie Smith... C'est infini... 

Et dans la vie, où trouvez-vous votre inspiration ? 

Ça reste assez mystérieux. Il faut que je sois en état de réceptivité, et donc avec la perspective d'un disque au bout, sinon rien ne se produit :  quand je suis dans cette dynamique là, tout peut partir d'une chose vue, une phrase lue ou entendue, et par rapport à laquelle j'ai envie de rebondir. ça, c'est pour les mots. Pour la musique, ce sont les disques des autres, un morceau qui à un moment donné va m'aiguiller, me donner envie de m'en inspirer, ou alors un moment en tournée : on joue avec les camarades de scène, et un truc se passe, pas prévu, un son déboule que je vais avoir envie de développer. 

La littérature et l’écriture vous passionnent. Quels sont vos écrivains de chevet ? 

Comme la musique, c'est sans fin. Je n'ai pas vraiment d'écrivains de chevet ; plus des livres qui restent comme des marqueurs, mais que pour la plupart, je n'ai pas forcément relus, restant sur le souvenir d'un choc, qui ne se reproduirait peut-être pas à la relecture : je pourrais citer Mon Antonia de Willa Cather, Gioconda de Nikos Kokantzis, Le grand Meaulnes, Le buveur d'Hans Fallada, La trilogie des jumeaux d'Agota Kristof, Le Quatuor des saisons de Knaussgard... Sans oublier quand même Simenon et Modiano, dont je lis régulièrement un livre ou l'autre.  Les livres d'amis comme Dominique Fabre ou Brigitte Giraud, comptent aussi beaucoup pour moi. Dernièrement, Histoires de la nuit de Mauvignier, son précédent livre, m'a cloué au sol. Je lis sans arrêt, c'est obsessionnel. 

En 2004, parallèlement à votre album Tout sera comme avant, vous êtes à l’origine d’un recueil de nouvelles du même titre qui réunissait des écrivains de talent. Comment vous est venue cette belle idée ? 

A cette époque, je rencontrais pas mal d'écrivains de ma génération, et qui me citaient. Et j'avais été invité aux Correspondances de Manosque, magnifique festival littéraire, pour des lectures musicales, ce qui m'avait permis d'en découvrir d'autres. Comme les chansons que j'écrivais alors étaient très souvent inspirées par des livres, l'idée m'est venue de ce petit jeu de ping pong entre musique et littérature, et les éditions Verticales ont tout de suite saisi la balle au bond. Le livre a d'ailleurs eu plus de succès que le disque, qui était un peu raté, il faut dire. 

« 270 milliards d'euros d'exonérations fiscales sont accordées chaque année par l'Etat aux grandes entreprises » 

En 2023, vous avez soutenu le mouvement contre le projet sur les retraites; c’est courageux car le sujet est clivant. Pourquoi ? 

Parce que 270 milliards d'euros d'exonérations fiscales sont accordées chaque année par l'Etat aux grandes entreprises, prélevées sur nos impôts et sans contrôle aucun quant à la finalité et l'utilisation de cet argent, et que dans ce contexte, il ne me semble pas que relever l'âge de la retraite soit une condition sine qua non pour éviter l'effondrement du pays.

Qu’avez-vous pensé du mouvement des Gilets jaunes ? 

Que c'était l'expression d'une exaspération bien légitime, avec de vraies zones de flou sur le plan du discours. 

Que pensez-vous des mouvements de grève et de blocage actuels ? 

Qu'il n'y a rien de surprenant à ça. Depuis que je suis gosse, je vois des gens faire grève et manifester. Depuis que je suis gosse, j'entends dire "les gens en ont marre". À cette différence près qu'on a désormais l'impression que les gens en ont marre d'en avoir marre. Il y a une fatigue, et une absence d'espérance, un vrai boulevard pour on sait qui. Ceci dit, il n'y a pas de fatalité. On n'est pas obligés d'en passer par une faillite démocratique totale, si nous sommes assez nombreux à ne pas le vouloir. 

Quels sont vos projets ? Un nouveau disque ? Un nouveau livre ? 

Avec mes camarades, on travaille sur un disque, qui sortira dans un an, et dont je suis déjà fier comme Artaban, même s'il est loin d'être bouclé. Et sinon, je viens d'éditer moi même un bouquin de photos, Feu sacré, des images prises par un ami technicien qui m'accompagne, Philippe Grasset, sur six ans de tournées, avec des textes sur mon rapport à la scène. L'idée en est venue un soir d'avril sur une terrasse avant un concert, et puis voilà, cinq mois plus tard, le livre est là. Un vrai bonheur, ne pas être obligé d'attendre des siècles avant que les choses se fassent… 

Propos recueillis par François Milan